RELIGION - « Ma routine Carême pour réduire au max le maquillage », « POV tu fais le Carême et tu dis un gros mot », « Mes règles pendant le Carême »… Sur TikTok, les vidéos d’adolescents ou d’influenceurs qui font le Carême se multiplient. Un peu passée de mode, cette période de 40 jours de préparation avant Pâques chez les chrétiens, dont le début tombe cette année en même temps que le ramadan, semble séduire les nouvelles générations.
« On a célébré hier le mercredi des Cendres, et on a constaté la présence de beaucoup de jeunes qui auparavant ne mettaient jamais les pieds dans une église, se réjouit le père Benoît Pouzin, du diocèse de Valence. D’habitude, on a une centaine de personnes, là on avait 500 personnes. » Pour lui, ce succès s’explique en partie par les réseaux sociaux et les influenceurs qui postent de nombreux contenus religieux, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.
Sur TikTok, des adolescentes se filment pour afficher leur front, sur lequel une croix a été tracée avec des cendres, signe qu’elles ont assisté à la messe du mercredi des Cendres qui marque le début du Carême. Apposé par le prêtre, il est souvent accompagné de cette bénédiction : « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Pour Benoît Pouzin, lui-même présent sur TikTok, sur Instagram et sur Youtube, le réinvestissement du Carême par les plus jeunes est un phénomène assez récent.
« C’est aussi dû à la présence de l’islam en France, qui par le ramadan propose quelque chose d’assez fort, suppose-t-il. Chez les jeunes, il y a l’idée que s’ils sont chrétiens, il faut que cela se voie. Ils ne veulent pas être tièdes ou fades. Et c’est quelque chose de très beau, propre à cette nouvelle génération. »
Pendant le Carême, l’Église catholique recommande de sauter un repas lors du mercredi des Cendres et du vendredi Saint, de s’abstenir de viande les vendredis et de « maîtriser nos instincts ». La sociologue des religions Isabelle Jonveaux évoque également l’influence de l’islam dans ce regain d’intérêt pour ce temps liturgique qui précède la fête de Pâques.
« En France, le ramadan est davantage suivi par les fidèles que le Carême chez les chrétiens, rappelle-t-elle. Et les règles du ramadan sont très claires. Le Carême, ça l’est beaucoup moins. Des questions comme “Jusqu’à quelle heure je dois jeûner ?” ne sont pas du tout dans les références chrétiennes. L’Église n’est pas stricte de cette manière-là. »
Sur les réseaux sociaux, les adolescents semblent pourtant être en quête de consignes précises sur le Carême, demandent quand il faut jeûner, s’il faut prendre des douches froides, s’il faut arrêter de fumer, de boire, faire preuve d’abstinence… À la recherche d’une ascèse plus stricte que leurs aînés, qui s’en étonnent. « C’est drôle, parce que normalement, c’est toujours un moment que les chrétiens redoutent un peu, le moment où il faut faire des efforts, s’amuse le père Pouzin. Ce qui revient toujours, chez les jeunes, c’est : “Moi je veux vivre un vrai Carême”. »
Ce zèle des plus jeunes, la sociologue lui a associé un néologisme : pour elle, c’est une « revirtuo-isation » de la religion. « Il y a chez les jeunes une recherche de dépassement de soi, de performance dans le Carême, observe-t-elle. On va trouver de plus en plus de pratiques de jeûne, pour agir sur le corps, avec une dimension de bien-être, de détoxification. Ce qui n’est pas dans la tradition catholique. »
De son côté, le père Benoît Pouzin souhaite voir dans cet élan une quête de sens et de spiritualité. « Il y a 10-15 ans, faire prier des jeunes, c’était compliqué. Aujourd’hui, ils ont une vraie soif de ça, constate-t-il. Quand on fait des retraites, ce qui les marque le plus, c’est le temps de prière et de silence, où on va couper tous les portables. La religion propose des choses qui leur parlent, comme la méditation, le bien-être intérieur… »
Le fait que cette génération réclame des règles précises et contraignantes s’inscrit dans une tendance plus large, celle de l’essor du développement personnel et des conseils de vie dispensés sur les réseaux sociaux. « C’est ce qu’on trouve de manière générale dans toutes les routines proposées par les influenceurs. L’idée de retrouver des rituels dans la vie quotidienne, d’avoir des choses fixes dans sa journée. Et beaucoup de gens utilisent le Carême pour revivre ça », souligne Isabelle Jonveaux.
Elle estime que les contenus proposés par les influenceurs, eux-mêmes influencés par les contenus évangélistes, notamment américains, entretiennent aussi une forme de binarité et un manque de nuance dans les messages véhiculés. « Cette façon de dire “c’est comme ça” ou “j’ai le droit, je n’ai pas le droit”, c’est ce qu’on retrouve chez les influenceurs de manière générale, analyse-t-elle. C’est aussi une génération qui a reçu moins d’éducation religieuse et qui va attendre des réponses simples et claires, parce qu’ils n’ont pas le bagage religieux qui va derrière. »
Selon le père Pouzin, c’est tout simplement une manière pour les jeunes de « travailler sur eux ». Sa mission à lui est de leur rappeler le sens du Carême et ses « trois dimensions » indissociables : « Prier davantage, donc se tourner vers Dieu, purifier notre vie par le fait de couper avec certaines habitudes et le partage, l’aumône, faire des choses pour les autres ».
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2025-03-09T08:04:37Z