Élégance, chic, chien, tenue? Il y avait longtemps que l'on n'avait pas entendu ces mots se chuchoter avec autant d'intensité dans les coulisses et sur les premiers rangs des défilés qui, de New York à Paris via Londres et Milan, ont présenté les collections de prêt-à-porter féminin de l'hiver 2024? Et, à dire vrai, personne n'a boudé son plaisir face à ce retour à l'essentiel déployant une féminité assumée, loin du sportswear. Les talons et les bottes sont de retour, la jupe crayon se conjugue au pantalon large, quand le trench le dispute au grand manteau - permettant ainsi de superposer veste et mailles, le cabas de femme active se portant au creux du bras. Le tout dans des harmonies de noir, de gris, de marine, de taupe et de noisette. Cela pourrait fleurer l'ennui, se réduire à une démonstration de force des stratégies de l'offre faisant les très beaux jours du luxe : on ne compte plus le nombre de produits présentés par show - à chaque look ses chaussures, bien entendu, mais également son sac (voire ses sacs), ses bijoux, ses lunettes. Les shows eux-mêmes ne cessent de s'allonger : si l'on est encore loin des 150 passages des années 1970 et 1980, l'ère post-Covid a vu une inflation du nombre de modèles proposés. Plus que jamais le produit est roi et les maisons, face à une équation quasi impossible : combiner intemporels suscitant l'achat raisonnable et désir irrépressible provoquant l'achat d'impulsion.
La réponse est somme toute assez simple et directe : elle se niche dans l'allure, chaque griffe tentant de s'approprier ce vocable que Paul Morand avait appliqué en son temps à Chanel. Plus que jamais, les maisons se singularisent par leur signature créative, resserrant leur proposition sur l'identité singulière de leurs silhouettes. Sans doute l'arrivée des stars de la K-pop déclenche-t-elle toujours des scènes d'hystérie de masse disant à quel point le défilé de mode est devenu l'acmé de la société du spectacle et le substitut des premières de film des années 1950 ou des concerts de rock des années 1970. Sans doute l'ère des mégashows n'est-elle pas totalement achevée, mais ils célèbrent désormais plutôt les noces du luxe avec l'art, permettant ainsi aux marques de s'affirmer comme des plateformes culturelles à travers la commande d'?uvres devenant décors : c'est le cas de Dior et de l'artiste Joana Vasconcelos, de Louis Vuitton avec Philippe Parreno, quand Matthieu Blazy, chez Bottega Veneta, fait défiler ses modèles entre statues antiques et sculptures des années 1930, métaphores du mouvement qu'il entend donner à ses femmes ; et que Chanel demande aux photographes stars Inez et Vinoodh de jouer avec l'image de la comédienne japonaise Nana Komatsu, projetée sur les murs et sur les camélias géants fleurissant au Grand Palais éphémère - la fleur devenant le motif central de la collection.
L'esprit tailleur décontracté chez Gucci.
Demeure que nombre de maisons ont préféré resserrer leurs effets - Saint Laurent recréant l'atmosphère du grand salon de l'hôtel Intercontinental où défilait son fondateur -, voire de s'en passer tout court. C'est ainsi que Balenciaga a décidé d'abandonner les superproductions qui faisaient le buzz pour une présentation sobre au Carrousel du Louvre de Paris : un retour aux vêtements, à la création pure qui s'avère aussi la meilleure réponse aux crises que la marque a essuyées en fin d'année, après des campagnes publicitaires plus que controversées par les réseaux sociaux. À la question « Que reste-t-il d'une marque de luxe quand on enlève le spectacle ? », la réponse est peut-être tout simplement le talent, la force de la création, la possibilité de créer du beau. La promesse d'une allure.
Aimer la coupe
Non, « vêtement » n'est pas un gros mot sur les podiums. Bien au contraire, il revient en force, poussé par les services de marketing et transformé en objet de désir par les créateurs. Au c?ur du propos, le tailoring : les femmes de 2024 sont fortes, travaillent et investissent dans des pièces structurées. Le recentrage sur le vêtement opéré par Demna chez Balenciaga - la marque envoyait littéralement un patron en guise d'invitation au défilé - est l'acmé de ce mouvement. En jouant avec les proportions sur des blazers croisés à double boutonnage construits à la façon de pantalons inversés, le Géorgien rappelle avant toute autre chose son amour de la confection - jusque dans les spectaculaires robes plissées, qui sont aussi une de ses signatures. Une relation intime au vêtement, convoquée aussi par Dries Van Noten, déclinant le traditionnel costume rayé en extrapolant ses volumes avec un sens du détail implacable dans une collection nimbée d'or et de poésie. Chez Alexander McQueen, qui signait son retour dans la capitale française, Sarah Burton interroge, elle, l'anatomie du vêtement et son rapport au corps, parfaitement incarnée par une Naomi Campbell sculpturale dans sa robe bustier en ouverture du défilé. La collection est là encore une démonstration de savoir-faire tailleur : vestes à l'épaule aiguisée et à la taille cintrée, chemise blanche portée sous une combinaison en bustier? C'est aussi l'exercice opéré par Pierpaolo Piccioli, qui présente chez Valentino un dress code black tie pour l'hiver quand Loro Piana combine exigence de la coupe et style, y compris dans ses propositions denim.
Twister classiques et mailles
Pas d'ennui en vue dans le retour aux fondamentaux de Jonathan Anderson chez Loewe, avec des pièces réduites à l'essentiel dans un travail de géométrie pure combinant sens du produit et tenue. C'est ce parfait manteau en daim tombant sur la cheville, cette parfaite robe bustier en velours noir, ce parfait cardigan gris en maille aux volumes amplifiés. Hiver oblige, les mailles assurent la permanence de la saison. À Milan, Miuccia Prada et Raf Simons proposaient de jouer des lignes avec une collection placée sous le signe des contrastes où les vêtements du quotidien rencontrent ceux des grandes occasions - une robe de mariée portée à la ville sous un pull en laine parfaitement ajusté, ou une chemise blanche de tous les jours muée en robe de soirée. Des mailles toujours, dans une version brodée de strass chez Brunello Cucinelli. La marque recevait à demeure, dans son showroom milanais, où des silhouettes d'inspiration 90's déambulaient parmi les convives dans un vestiaire quotidien magnifié par le savoir-faire des artisans de Solomeo. Pulls, chemises et vestes de costume incarnent ainsi la toute-puissance du produit. Une panoplie d'hiver complétée par ces longs manteaux planchers sous lesquels on empile les classiques à l'envi, comme chez Chanel - ah ! le grand jeu du tweed - ou chez Tod's, qui en présente un éventail complet. Et s'amuse du trench - autre pièce phare de la saison, de Burberry à Alexander McQueen via Sacai.
Se prendre - un peu - pour une autre
L'hiver 2024 sera glamour ou ne sera pas et, dans cet exercice, les créateurs ont appelé à la rescousse des figures tutélaires de femmes fortes, amenant leurs clientes à se prendre pour des héroïnes de style. Chez Balmain, Olivier Rousteing, qui a lui aussi renoncé aux superproductions pour se replonger religieusement dans les archives de la maison, joue de la silhouette « New French Style » à la taille marquée, typique de l'après-guerre, dans un travail de haute précision convoquant le souvenir de Ginette Spanier, l'exigeante et audacieuse directrice de Balmain de 1947 à 1976. Années 1950 aussi chez Dior, où Maria Grazia Chiuri invoque pêle-mêle Catherine Dior, la s?ur du couturier, entrée en résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, Juliette Gréco et Édith Piaf, dont le « Non, je ne regrette rien » résonnait au passage de silhouettes à la taille marquée et aux manteaux amples. Chez Saint Laurent, l'évidence du tailleur-jupe fort en épaule caractéristique de la fin des années 1980 est remise au goût du jour dans une référence directe à Catherine Deneuve - dont l'image était le teaser de la collection sur les réseaux sociaux. Anthony Vaccarello livre pour la maison une collection puisant sans nostalgie dans les archives pour mieux les interpréter et entonner une partition contemporaine, pleine de chien et de chic pour l'opus le plus applaudi de la saison. Muse encore chez Givenchy, où Matthew Williams évoque l'entourage féminin du fondateur comme point de référence de la collection, dont Audrey Hepburn, amie fidèle et éternelle icône maison. À Milan, Maximilian Davis puise dans l'héritage de Ferragamo - dont il a les commandes -, s'inspirant du glamour de Sophia Loren et de Marilyn Monroe, que le chausseur comptait parmi ses habituées. Un tropisme hollywoodien partagé par Daniel Roseberry chez Schiaparelli. Voyage dans le temps chez Max Mara, pour célébrer Émilie du Châtelet et l'érudition des Lumières via une silhouette drapée dans de généreux brocarts. Quant à Gabriela Hearst chez Chloé, elle évoque les clairs-obscurs d'Artemisia Gentileschi, figure majeure de la peinture du XVIIe, voulant voir dans la période actuelle les signes d'une nouvelle Renaissance. Aux muses d'hier viennent enfin s'ajouter celles d'aujourd'hui. Exemple chez Dolce & Gabbana, dont le vestiaire d'essentiels des années 1990 réinterprétés s'imprègne de l'esthétique de Kim Kardashian, passée des backstages de la saison dernière, quand elle cosignait une collection d'archives, au premier rang du défilé. C'est le cas également chez Fendi, où Kim Jones regarde droit dans la silhouette de la dynaste Delfina Delettrez, directrice artistique des bijoux de la maison, et plus précisément dans sa manière de combiner pièces issues des archives et créations contemporaines. Une affaire de style - et d'allure.
Finir au talon
Clac, clac, clac? Dans les salons dorés du musée d'Orsay, à Paris, des percussions pressantes jaillissant des enceintes ont donné le coup d'envoi du défilé Louis Vuitton, dédié à la vision du style français de Nicolas Ghesquière. Cette illusion sonore du compositeur Nicolas Becker, évoquant les bruits de la ville, traduit en musique une obsession de la saison, les talons, ultime coup de grâce porté aux sneakers. Comme un écho aux bottes, bottines et sandales en cuir battant la mesure qui se sont succédé sur le podium pavé de dalles sombres, métonymie de cette volonté de finir la silhouette par le talon tout en célébrant le style français. Il est question d'altitude aussi chez Victoria Beckham, qui recevait quelques jours plus tôt dans son spot parisien du cloître du Val-de-Grâce. Telle une apparition au milieu de délicates robes cocktails et de tailleurs à l'exécution soignée, la chaussure plateforme à bout pointu en peau exotique se confond dans un pantalon de matière identique. Chez Givenchy, l'Américain Matthew Williams joue des matières sur des escarpins à bout pointu parfois ornés de points de pavé, assortis à la tenue, quand Bruno Sialelli chez Lanvin ne distingue plus la botte du pantalon. Le talon comme prolongement naturel du vêtement se retrouvait déjà dans les premiers passages des défilés milanais, notamment chez Fendi, où la botte à lacets, tendance bondage, se hisse le long de la jambe jusqu'à mi-cuisse pour finir par se perdre sous une jupe en cuir, ou encore chez Emporio Armani, où l'élégance rehaussée de désinvolture s'illustre dans d'interminables cuissardes vertigineuses moulées sur la jambe en fuseau. Pas de perte d'équilibre dans cet exercice chez Dior - avec le talon décalé des escarpins -, Saint Laurent - où un modèle à bride de côté se décline dans toutes les matières - ou encore chez Hermès - dont les bottes sont les plus fières de la saison.
Se dévoiler, mine de rien
Et si l'allure se jouait aussi dans le dévoilement d'une épaule, dans la sensualité d'une transparence, dans la suggestion d'un corps ? Il y a de cela dans la proposition de Nicola Di Felice pour Courrèges, avec ces robes de naïades transparentes ajourées au nombril alternant avec le tailleur. Autre cas d'école chez Ann Demeulemeester pour la première collection de Ludovic de Saint Sernin, dont les mannequins défilaient topless, les mains couvrant la poitrine, vêtues de longues jupes en satin. Chez Miu Miu, petits hauts nude transparents dévoilant les dessous et culottes couture incrustées de perles et de cristaux brouillent la frontière entre le jour et la nuit. Un vestiaire tantôt intime tantôt formel, que l'on retrouve par exemple chez Giorgio Armani, dont la femme à l'allure intemporelle s'enveloppe dans de longues robes soyeuses ou des pantalons souples aux teintes poudrées. Chez Bottega Veneta, Matthieu Blazy joue à nouveau du trompe-l'?il dans une collection hommage au patrimoine italien, où la chemise de nuit rayée et son short sont en réalité taillés dans des pièces de cuir, tout comme le faux denim. Transparence et lingerie sont également au rendez-vous chez Gucci, dont le studio - dans l'attente de l'arrivée de Sabato De Sarno - a livré une collection aux accents familiers, clin d'?il aux derniers directeurs artistiques qui s'y sont succédé, de Tom Ford à Alessandro Michele en passant par Frida Giannini, comme un état des lieux avant d'amorcer un nouveau chapitre. Même constat chez Dolce & Gabbana, qui aligne corsets et dentelles dans une collection témoignant du retour gagnant de la lingerie dans le giron des maisons de luxe.
S'en tenir au carreau
Dans la course au vintage de la mode, le tissage ou le motif carreau - comme revenus des années 1980 - s'affirment pour l'hiver 2024. Chez Burberry, Daniel Lee, qui vient tout juste d'être nommé, s'empare du tartan iconique de la maison et le décline dans une palette de couleurs vives inédites et des proportions décuplées, parfois en référence à peine voilée à l'esthétique grunge de Vivienne Westwood. La prêtresse de la mode punk, disparue en décembre, était dans tous les esprits également à Paris, où son époux, Andreas Kronthaler, lui rendait hommage dans une collection ponctuée de références faisant la part belle au carreau madras. Stella McCartney ouvrait quant à elle son défilé d'inspiration équestre par des tailleurs camel parés de motifs écossais. Demeure que l'exercice n'est pas réservé aux Britishs. Le carreau est ainsi un thème central chez Issey Miyake, avec une série de pièces réversibles quadrillant la silhouette des pieds à la tête, quand Etro enveloppe ses silhouettes de larges plaids de tartan vitaminés et qu'Anthony Vaccarello en drape ses tailleurs. À oser§
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